La mondialisation, le métissage, la créolisation, le cross-over, le melting-pot, l’hybridation, le multiculturel, les champs sémantique sont nombreux pour tenter de nommer ce vaste fourre-tout appelé plus simplement : « mélange des genres. Moi qui suis plutôt contre l’idée de pureté, qu’elle soit raciale, formelle ou morale, j’ai tendance à défendre la thèse des généticiens en l’appliquant à la musique et qui pourrait s’énoncer ainsi : « les croisements des esthétiques font de plus beaux bébés musicaux ».Vive les mélanges donc !
Mais un peu comme la langue d’Esope, c’est à la fois la meilleure et la pire des choses et le métissage est vite devenu une réponse à tout faire qui alimente un marché de plus en plus juteux. Des grandes compagnies de disque qui réunissent le jazzman célèbre avec le joueur de tablas qui comme par hasard enregistre sous le même label. Tel chanteur de variété francophone invité à chanter avec cette merveilleuse chanteuse africaine. Je sais que personne n’a obligé Pierre Boulez à travailler avec Franck Zappa mais on s’en souvient plus de cette rencontre que de la majorité des œuvres de ce compositeur.
Ce sont autant d’exemples qui démontrent que, bien souvent, ce qui dicte cette démarche du mélange des genres, c’est évidemment la recherche du profit. Ce phénomène devient de plus en plus important puisque la mondialisation s’étend et favorise la vente de disques et de DVD et de fichiers de toutes sortes. Il est donc devenu politiquement plus que correct d’aller chercher et parfois même piller les musiques de ceux que nous avons largement ignoré, voire asservis naguère.
Alors, que quelques marchands fassent du profit sur le multiculturel et que nous devions décupler d’attention et de lucidité acoustique pour ne pas prendre l’ivraie pour le bon grain, ce n’est pas si grave. Mais comment reconnaître alors les démarches sincères et créatives. La réponse à cette question est difficile, parce toutes les attitudes coexistent. Cela va du marchand déterminé au créateur sincère qui veut créer du lien dans ce monde troublé en rapprochant les cultures. Et puis il y ceux qui aiment ces mélanges à condition qu’il n’y ait pas trop d’embarcations pleines de migrants qui viennent s’échouer sur nos côtes. C’est un peu comme si le métissage renvoyait aussi vers des questions politiques non résolues.
Mais ces croisements ne datent pas d’aujourd’hui. Bartok partait avec son gros enregistreur à fil ou à cylindre pour capter les musiques populaires de son pays, c’était, et l’intimité du mélange populaire et savant dans son œuvre en est la preuve, dans un respect absolu de la valeur musicale de ce qu’il captait. Lorsque Kudsi Erguner aujourd’hui,travaille avec Georges Aperghis, c’est pour mettre sa technicité d’instrumentiste au service de l’écriture contemporaine du compositeur.
Lorsque Alexandros Markeas compose pour le bouzouki, nous n’avons pas de raison de croire à une quelconque récupération. Ce qui fait la différence, c’est l’authenticité du geste et surtout la qualité de la musique qui en résulte. C’est donc rassurant de penser qu’au-delà du monde marchand, de toutes ces tentations mercantiles, malgré une déculturation profonde dans ces domaines, la musique, issue de ces mélanges, peut être belle et juste. Encore faut-il avoir les codes et les grilles d’analyses et ce n’est pas toujours facile. Il convient donc de rester vigilant.