Certains détracteurs des musiques que je défends pensent que la musique contemporaine n’est que du bruit c’est-à-dire, je vous le rappelle, un son perçu comme gênant.
Je ne vous parle pas de ceux qui prennent Bartok pour un extrémiste de la modernité et Ligeti pour un compositeur inécoutable, mais des mélomanes curieux un peu désorientés qui, de bonne foi, cherchent à se repérer dans la jungle des sons d’aujourd’hui.
On le sait, l’envie qu’ont les compositeurs d’aller de plus en plus loin dans la recherche les entraîne parfois à aborder des zones complexes où il est demandé aux instrumentistes des gestes extrêmement minimaux, comme chez Helmut Lachenmann ou Gérard Pesson. Prouesses d’archet frotté sur les chevilles du violon ou de doigts qui effleurent la touche, tout cela fabrique des sonorités qui peuvent ressembler à un bruit et qui peuvent en déconcerter plus d’un.
Mais c’est justement le travail musical autour de cette différence entre le bruit et le son qu’il faut analyser. Une cheville de violon frottée par un archet produit une sonorité qui, prise isolément, ressemble au son de notre main passée sur la table pour enlever les poussières.
Un coup donné sur l’embouchure du tuba avec le plat de la main peut faire penser à un son obtenu pendant le lavage d’une petite casserole.
Mais avant d’être des sonorités qui ressemblent à des bruits du quotidien, ce sont des sons qui s’intègrent dans le projet du compositeur.
Hélas, notre esprit cartésien a tendance à toujours vouloir nous appuyer sur ce que nous connaissons en nous faisant chercher des références dont il faudrait tenter de s’abstraire.
C’est ce que Pierre Schaeffer décrivait en développant le concept d’écoute réduite. Il expliquait qu’il fallait arriver à quitter le champ de la comparaison d’un son avec l’objet reconnaissable qui l’engendre pour aller vers cette écoute qui n’est faite que de la conscience de la hauteur, du timbre de l’intensité, enfin de toutes les caractéristiques acoustiques de ce son.
C’est d’ailleurs une expérience qu’on peut faire naturellement lorsqu’on est dans le train par exemple. Attention, je ne parle pas des TGV mais du bon vieux train qui, lorsqu’il roule, engendre un bruit régulier et rythmique. On entend vite à travers cette rythmicité, une sorte de musique et notre écoute quitte le champ du son reconnaissable pour aller vers ce que nous savons être de la musique. Ces itérations deviennent alors la base d’un imaginaire détaché du son concret.
Ainsi, la différence entre le bruit et la musique s’amenuise et ce qui n’était qu’un choc mécanique régulier peut devenir la base d’une rythmique très sophistiquée.
Voilà comment nous sommes passé en douceur du bruit a à la musique.
C’est d’ailleurs le travail des compositeurs électroacousticiens qui partent souvent d’un bruit pour fabriquer des univers sonores incroyables.
En conclusion il est indispensable d’écouter le monde autrement que comme un tintamarre de bruits insupportables et surtout d’écouter les musiques contemporaines pour ce qu’elles sont c’est à dire la concrétisation de ce projet fou des compositeurs/alchimistes qui transmutent ce qui peut sembler être un bruit en musique composée et vivante.